Vin naturel en Belgique : quelle reconnaissance, quel cadre légal aujourd’hui ?

Explorer, comprendre et déguster le vin naturel belge

Entre liberté créative et flou juridique : définition officielle ou bricolage ?

On aurait pu croire qu’avec la montée en puissance du vin naturel sur les tables et dans les verres, la Belgique, pays féru de qualité et de traçabilité, aurait très tôt balisé son socle législatif. Pourtant, en 2024, la situation reste étonnamment floue. Concrètement, il n’existe pas de définition légale du vin naturel en Belgique. Ni le Code wallon de l’Agriculture, ni la réglementation flamande ne donnent de contours précis à ce qu’est – ou n’est pas – un vin naturel.

La Belgique applique les réglementations européennes sur la viticulture et, de façon plus générale, distingue surtout le conventionnel du bio, voire de la biodynamie, mais laisse le « vin naturel » à l’appréciation – et à la conscience – de chaque vigneron. Cette absence de définition officielle se traduit par un grand écart sur les pratiques…

Quelles contraintes réglementaires pour les producteurs belges de vins naturels ?

La loi qui encadre aujourd’hui la production de vin en Belgique est essentiellement issue des textes européens (Règlement (UE) n° 1308/2013), qui détaillent les pratiques autorisées dans la vinification et la commercialisation des vins. À ce jour :

  • Tout vin belge, naturel ou non, doit suivre les règles sur la traçabilité, la sécurité alimentaire et la fiscalité propres à l’Union Européenne ;
  • L’ajout de certains intrants (sulfitage, désacidification, additifs) est autorisé dans certaines limites, mais l’absence totale d’additifs n’est pas exigée pour un vin appelé « naturel », puisque le terme ne bénéficie pas d’un encadrement spécifique ;
  • Les contrôles restent les mêmes que pour tout producteur, qu’il travaille en naturel, en bio ou en conventionnel : déclaration de récolte, déclaration de production auprès de l’AFSCA (Agence fédérale belge pour la sécurité de la chaîne alimentaire), et accises sur l’alcool.

Les obligations qui s’imposent aujourd’hui à un vigneron « nature » sont donc celles de tout producteur. Aucun texte n’impose une vinification sans soufre ou sans levures exogènes – le choix, c’est le vigneron qui le fait, par conviction.

Le vin naturel reconnu officiellement par la Belgique ?

L’État belge ne reconnaît pas (encore) officiellement la notion de vin naturel. Contrairement à la France, où l’INAO a autorisé en 2020 la mention contrôlée “Vin Méthode Nature”, la Belgique n’a pas de mention protégée, ni de décret dédié.

Les vignerons engagés dans la voie du naturel travaillent ainsi dans une relative invisibilité administrative. Les instances officielles, des Douanes à l’AFSCA, ne font à ce jour aucune distinction lors des inspections, regardant avant tout :

  • Le respect des volumes déclarés ;
  • La conformité de l’étiquetage (degré d’alcool, origine, allergènes) ;
  • L’origine des raisins pour les IGP flamandes ou wallonnes.

Le vin naturel relève donc d’une démarche, pas d’une catégorie reconnue par les services de l’État.

Labels, certifications et mentions officielles : quelles options en 2024 ?

Si le vin naturel reste un « angle mort » de la réglementation belge, plusieurs labels peuvent néanmoins s’appliquer :

  • Label Bio européen (logo vert à feuille étoilée) : il garantit l’absence de pesticides ou d’engrais de synthèse à la vigne et encadre (faiblement) les intrants en cave, mais tolère jusqu’à 100 mg/l de soufres pour les rouges (en bio) – bien loin des standards du vin nature.
  • Labels privés :
    • La mention Vin Méthode Nature (française) ne s’applique pas formellement en Belgique, mais certains producteurs – belges proches de la frontière, ou présents sur certains réseaux professionnels – y adhèrent volontairement.
    • La charte de l’Association des Vins Naturels (AVN), plus répandue en France, sert de référence mais n’est pas officiellement reconnue en Belgique ni contrôlée par une instance belge.
  • Labels associatifs et initiatives régionales : certaines associations belges (par exemple la Vereniging van Vlaamse wijndomeinen ou Vignerons de Wallonie) encouragent des pratiques proches du naturel (zéro intrant, peu ou pas de filtration), mais ne proposent pas de label spécifique.

À cette heure, aucun logo ni mention officielle « vin naturel » n’est donc délivré par une autorité belge.

Adaptation et créativité des vignerons belges en l’absence de cadre officiel

Indépendants, attachés à leur terroir, les vignerons naturels belges s’adaptent. Ils bâtissent une reconnaissance sur trois piliers :

  • La transparence : ils détaillent sur leurs fiches techniques les modes de culture (bio, non traitées…), la vinification (levures indigènes ou non, niveau de sulfite ajouté, absence de filtration parfois).
  • Le réseau professionnel : salons spécialisés, groupes de vignerons, distribution sélective auprès de cavistes et restaurateurs convaincus, bouche-à-oreille au cœur du succès.
  • L’engagement dans des démarches : certains adhèrent volontairement à des chartes françaises ou européennes (par exemple Renaissance des Appellations, Artisans du Vivant).

Des producteurs comme Domaine du Chenoy (Namur), Vin de Liège ou Wijndomein Hoenshof affichent fièrement une approche la plus « propre » possible, mais refusent souvent les compromis imposés par le bio industriel.

Le cadre européen, un carcan ou une soupape d’avenir ?

La Belgique, membre de l’Union européenne, applique l’acquis communautaire, qui ne propose pas de catégorie légale “vin naturel”. Le cadre européen, via le Règlement (UE) 1308/2013 et son volet “Organisation commune de marché vitivinicole”, ne distingue que le conventionnel, le bio et la biodynamie, tout comme l’Annexe VII du même règlement.

Cependant, des évolutions se dessinent : sous la pression croissante des marchés et des consommateurs, la France a été pionnière en 2020 en lançant son label expérimental “Vin Méthode Nature”. D’autres pays suivent – l’Italie mentionne parfois “vino naturale” sur les contre-étiquettes, sans reconnaissance nationale.

Pour les Belges, ce sont ces expériences étrangères et l’impulsion européenne qui pourraient un jour accélérer la naissance d’un statut.

Déclarations, contrôles, obligations : la réalité administrative pour le vigneron naturel belge

En matière de paperasse, être vigneron naturel, bio ou conventionnel en Belgique ne fait quasiment aucune différence. Tout producteur doit :

  • Dénombrer ses vignes auprès des autorités agricoles régionales (Flandre ou Wallonie) ;
  • Déclarer chaque année ses volumes produits, conditionnés, vendus ;
  • Assurer la traçabilité jusqu’à la bouteille (origine des raisins, traitements éventuels) ;
  • Se soumettre à des contrôles sanitaires (AFSCA), inspections anti-fraude, et tests aléatoires sur la teneur en alcool ou en SO2 (surtout pour les vins bio).

La spécificité “vin naturel” n’attire cependant aucun contrôle renforcé – sauf cas très particulier où une intoxication serait imputée à un lot non sulfités, cas jusqu’ici rarissime en Belgique (source : AFSCA).

Puis-je écrire “vin naturel” sur mon étiquette en Belgique ?

Voilà un point qui interroge beaucoup les jeunes domaines : inscrire “vin naturel” sur une étiquette en Belgique, est-ce légal ?

Officiellement, l’étiquetage belge répond aux normes européennes strictes en matière de dénomination, d’allergènes, d’origine géographique et de mentions facultatives (SPF Santé publique).

  • La mention “nature”, “vin naturel” ou “nature wine” n’est encadrée par aucun label public, mais… n’est pas non plus interdite (contrairement aux allégations “sans sulfites” sauf analyse certifiée).
  • Il est recommandé, lorsque la mention apparaît, de l’accompagner d’une explication ou d’un engagement détaillé (pratiques culturales, vinification, niveau de SO2 éventuellement), pour éviter d’induire le consommateur en erreur.
  • Les réseaux de distribution (cavistes, salons) jouent un rôle de filtre ici, seuls les producteurs sincères et transparents accèdent à certains circuits.

En l’absence de statut officiel, la mention “vin naturel” reste donc tolérée, mais engage personnellement le producteur. Certains jouent la prudence et préfèrent insister sur l’origine (vin de garage, cuvée non filtrée, etc.).

Le rôle discret mais majeur des associations belges

La structuration du secteur s’appuie sur quelques associations-clés :

  • Vignerons de Wallonie : forte de 45 membres, encourage la viticulture bio et la diversité, mais ne labellise pas de « vin naturel ».
  • Vereniging van Vlaamse wijndomeinen (VVDW) : informe, forme, mais ne s’est pas dotée à ce jour d’un critère « vin nature ».
  • Salons spécialisés : l’apparition de foires et marchés dédiés (Bruxelles, Liège, Gand…) dope la visibilité de la filière, crée une communauté et, à défaut de label, instaure des pratiques partagées autour de la charte orale du “naturel”.

L’action la plus structurante est souvent le bouche-à-oreille entre vignerons, et le dialogue croisé avec certains importateurs belges (Ze Wine, Titulus, Le Vin du Mois…).

Des pistes pour faire évoluer la reconnaissance du vin naturel en Belgique

Face à ce vide juridique, des réflexions émergent du terrain :

  • Des groupes de travail informels, réunissant vignerons belges, importateurs, sommités du vin naturel (tels que Jean-François de Bôel de Vinéa), discutent des bases d’une future charte nationale.
  • La Fédération belge des Vins et Spiritueux a, en 2022, proposé d’observer les travaux français sur la création d’un label légal, dans la perspective de recommander quelque chose de similaire à moyen terme.
  • Certains domaines belges (Château Bon Baron, Kluisberg…) participent à des essais pilotes pour une certification de pratiques « sans intrant », en lien avec des partenaires néerlandais ou français.
  • Des contacts existent avec des juristes spécialisés en droit agroalimentaire de l’ULiège pour évaluer la faisabilité d’un label « Vin Naturel belge » contrôlé – aucune échéance cependant à ce stade (source : ULiège - Séminaire droit du vin 2023).

Si la route vers une reconnaissance officielle reste longue, le dynamisme, la solidarité et la créativité qu’on observe dans le monde du vin naturel belge favorisent sans doute l’émergence, à moyen terme, d’un cadre mieux défini. Les producteurs, eux, avancent déjà, persuadés que la vérité est dans la bouteille… et dans le partage.