Vin naturel en Belgique : quelles avancées pour sa reconnaissance législative ?

Explorer, comprendre et déguster le vin naturel belge

Une absence de statut officiel qui interroge

En Belgique, comme dans une grande majorité de pays hors France, le vin naturel ne bénéficie toujours pas d’un cadre juridique précis. Aujourd'hui, pas de définition légale, pas de mention reconnue sur l’étiquette, et aucun organisme officiel chargé d’en contrôler l’élaboration. Résultat : le terme “vin naturel” reste flou, sujet à interprétations et, parfois, détourné à des fins commerciales. Ce vide législatif brouille la lisibilité pour le consommateur… et met en porte-à-faux les vignerons engagés. Pourtant, le mouvement est bien vivant, et la question d’une reconnaissance officielle se pose de plus en plus sérieusement sous la pression croissante du terrain.

Pourquoi la Belgique peine-t-elle à légiférer sur le vin naturel ?

Plusieurs facteurs entravent l’instauration d’une législation spécifique :

  • Un paysage viticole jeune et en pleine structuration : Depuis une dizaine d’années, le nombre de domaines viticoles professionnels a explosé, passant d’une trentaine en 2010 à plus de 230 aujourd’hui. La Wallonie concentre la majorité des projets, notamment en bio, mais l’écosystème vinicole belge reste émergent comparé à ses voisins. (RTBF, chiffres 2023)
  • L'absence d’harmonisation européenne : L’Union européenne pose bien des règles encadrant la production de vin mais ne reconnaît pas officiellement la catégorie “vin naturel.” C’est la France, depuis 2020, qui fait figure de pionnière avec la mention “Vin méthode nature” (source : Vin Méthode Nature). La Belgique ne peut donc s’appuyer sur aucun socle supranational.
  • Des intérêts économiques et agricoles divergents : Entre les petites exploitations, souvent bio ou nature, et des acteurs plus conventionnels, la structuration du secteur belge oppose parfois des visions difficiles à concilier légalement.

Néanmoins, l’envie d’avancer est palpable sur le terrain – et quelques signaux faibles laissent entrevoir des évolutions possibles.

Associations et vignerons : les moteurs du changement

La création de collectifs indépendants, d’associations professionnelles et l’organisation d’événements militants sont au cœur des mobilisations pour une meilleure reconnaissance du vin naturel.

La Fédération Belge des Vins Naturels (FBVN)

Fondée en 2019, la Fédération Belge des Vins Naturels rassemble aujourd’hui une vingtaine de vignerons belges engagés dans une viticulture la moins interventionniste possible. Les membres s’imposent un cahier des charges :

  • zéro pesticide de synthèse à la vigne,
  • aucun intrant œnologique,
  • levures exclusivement indigènes,
  • sulfites ajoutés en dose minimale, voire absents,
  • fermentation et élevage sans techniques agressives.

L’objectif de la Fédération est clair : donner de la visibilité au vin naturel belge tout en clarifiant ce qui se cache derrière ce terme. L’un de leurs chevaux de bataille : plaider pour une reconnaissance administrative de leur charte auprès des organismes de contrôle. Ce travail de fond s’effectue en dialogue avec l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) et divers ministères compétents.

Même si la FBVN reste un acteur encore petit numériquement, ses membres produisent déjà certains des plus beaux ambassadeurs du vin naturel belge, à l’instar du domaine Frédéric Simon (Namur) ou du Domaine du Chenoy.

Des initiatives collectives au-delà de la structure associative

Au-delà de la Fédération, c’est par l’organisation d’événements publics et de tables rondes que vignerons et amateurs souhaitent peser sur l’avenir législatif.

  • Salons du vin naturel : Plusieurs événements majeurs attirent chaque année un public croissant (Salon du vin naturel de Bruxelles, Namur nature, Fêtes de la Vigne à Liège). Les organisateurs militent pour une plus grande transparence et sensibilisent élus locaux, consommateurs et autres producteurs à la nécessité d’un encadrement.
  • Tables rondes professionnelles : Fin 2023, un atelier intitulé “Nature et Vérité du Vin – pour quelles règles en Belgique ?” (co-organisé par L’Association des Sommeliers Belges et la FBVN, source : FBVN) a réuni vignerons, œnologues, distributeurs et représentants politiques pour un état des lieux. Principal constat : une volonté partagée d’éviter les dérives de l’usage commercial du terme, tout en refusant de trop lourds carcans “industriels”.

La piste de l’auto-régulation et ses limites

En l’absence de législation nationale, plusieurs producteurs pratiquent une transparence totale via l’auto-régulation : charte publique affichée, fiches techniques détaillées, certificats indépendants bio/DEMETER, contrôle des sulfites. Quelques plateformes comme Nature & Progrès Belgique offrent aussi un cadre d’accompagnement reconnu.

Cette volonté de clarté, si sincère soit-elle, atteint vite ses limites : le consommateur, souvent démuni face à la multitude de labels privés, peut difficilement discerner l’authentique vin naturel ou bio d’un énième “vertwashing”. Une mention officielle à l’échelle nationale apporterait sécurité juridique et visibilité.

L’impact de la législation française sur la dynamique belge

La France a ouvert la marche avec le label “Vin méthode nature” en 2020 : il s’appuie sur 12 critères précis et la double validation par un organisme de contrôle ainsi que d’un comité de vignerons. Ce label, reconnu par l’INAO (Institut national de l'origine et de la qualité), commence à faire école à l’étranger.

Dans ce contexte, la Belgique observe de près l’expérimentation française. Plusieurs vignerons belges utilisent d’ailleurs déjà cette mention export lorsqu’ils remplissent le cahier des charges. Néanmoins, une adaptation au contexte belge s'impose, notamment quant à la taille des exploitations, les cépages hybrides et le climat plus frais.

Du côté des pouvoirs publics : premiers frémissements

En 2022, le SPF Économie a mené plusieurs groupes de travail pour mieux cerner l’univers du “vin naturel” et collecter les besoins de la filière. Si aucune annonce officielle n’a encore vu le jour, le dialogue s’est intensifié entre l’administration fédérale, la Fédération des vins belges et la FBVN.

La Région wallonne a également mené une consultation lors de la réforme de l’aide aux plantations en bio (mesures 2023-2025). Une attention particulière a été portée aux pratiques à faibles intrants, signe d’une prise en considération croissante.

Mais le point déterminant reste la timide volonté politique : la Belgique avance traditionnellement à petits pas dès qu’il s’agit de fixer des normes nouvelles, en particulier dans un paysage viticole si foisonnant et encore fragile.

Quels obstacles principaux à la reconnaissance officielle ?

  • Consensus difficile sur la définition : Faut-il un cadre ultra strict, au risque de décourager les jeunes producteurs innovants ? Ou plus permissif, avec le danger de voir le terme vidé de sa substance ?
  • Manque de ressources pour contrôler : Face à la multiplication des micro-domaines, les organismes de contrôle belges sont déjà sollicités pour le bio, l’AOP, etc.
  • Filière encore jugée marginale : Les vins naturels pèsent moins de 7 % des volumes mis en marché, mais connaissent la croissance la plus rapide (+20 % en 2023 selon la FBVN).

Des raisons d’espérer : où en est-on en 2024 ?

  • Un élan de structuration professionnelle et associative croissant, avec une velléité de présenter la première charte officielle au SPF Économie d’ici fin 2024.
  • Une demande de transparence qui vient aussi des consommateurs eux-mêmes, de mieux en mieux informés et désireux de repères simples.
  • Une capacité d’influence grandissante, à mesure que la presse spécialisée et le grand public s’ouvrent aux succès de domaines emblématiques comme Vin de Liège, Domaine du Chenoy ou Ruffus, qui accordent une place croissante aux pratiques naturelles.

À quoi ressemblerait une “appellation vin naturel belge” ?

Si la Belgique devait avancer vers un statut officiel, plusieurs critères font consensus parmi les professionnels :

  • Vendange 100 % manuelle,
  • Raisins issus exclusivement de l’agriculture bio ou biodynamique,
  • Fermentations spontanées (levures indigènes uniquement),
  • Interdiction de tous additifs œnologiques et de la filtration agressive,
  • Sulfites ajoutés plafonnés (30 mg/l pour les rouges, 40 mg/l pour les blancs),
  • Transparence totale sur le processus.

Ce cadre reste débattu : doit-on accepter des envies de relief local, comme l’utilisation de cépages hybrides adaptés au climat ? Faut-il imposer l’absence totale d’intrants, ou accepter une marge pour la stabilité du vin ? Les discussions sont ouvertes, et les décisions à venir pourraient servir de modèle à d’autres pays européens où le vin naturel se développe.

Pistes pour suivre (ou accélérer) la dynamique

  • Se tenir informé : Suivre l’actualité des associations, participer aux salons, lire les dernières recommandations du SPF Économie ou de la FBVN.
  • Échanger directement avec les vignerons : Beaucoup sont transparents, expliqueront leur mode de culture si on les interroge sans a priori.
  • Soutenir le développement du réseau belge : Adhérer à des groupes militants ou tout simplement acheter (et faire découvrir) des vins estampillés FBVN, Nature et Progrès ou certifiés DEMETER.
  • Interpeller les élus locaux : Les législations émergent souvent des territoires eux-mêmes.

Vers une reconnaissance du vin naturel à la belge ?

Le chemin vers une législation du vin naturel en Belgique est jalonné d’obstacles, mais l’élan est là. Porté par des vignerons passionnés, des collectifs actifs, des consommateurs curieux et quelques élus sensibles au dossier, le débat ne cesse de grandir. La France montre que la reconnaissance officielle n’est pas une utopie. Reste à la Belgique d’inventer sa propre voie, peut-être plus souple, fidèle à la diversité de ses terroirs, mais déterminée à offrir aux amateurs une garantie sur ce qu’ils trouvent dans leurs verres. Car au fond, légiférer, ce n’est pas figer – c’est tracer un chemin fertile entre liberté et exigence.