Reconnaissance institutionnelle des vins naturels en Belgique : état des lieux et perspectives

Explorer, comprendre et déguster le vin naturel belge

Un terme vibrant, mais un statut juridique flou

Le vin naturel cultive l'aura du marginal, du sincère, du non-conformiste. Mais derrière ce récit vibrant, une question essentielle se pose : la Belgique reconnaît-elle officiellement le vin naturel ? En d’autres termes, quand une bouteille arbore la mention « naturel », cela s’appuie-t-il sur des critères formalisés, des contrôles, des garanties institutionnelles ? Ou reste-t-on dans la zone grise d’une notion non protégée et sujette à interprétations multiples ?

Ce sujet est loin d’être anecdotique. Pour les vignerons artisanaux, la reconnaissance institutionnelle permet d’affirmer une identité, d’accéder à des dispositifs de soutien, voire d’être mieux défendus en cas de litiges commerciaux ou douaniers. Pour les consommateurs, c’est la promesse de repères clairs dans la jungle des labels. Mais qu’en est-il réellement sur le territoire belge ?

Pas de définition légale du vin naturel en Belgique

Aujourd’hui, en 2024, aucun texte de loi belge ne définit officiellement le vin naturel. Le cadre reste identique à celui de la majorité des pays européens : la législation porte sur les catégories générales (vin, vin biologique, vin sans indication géographique, etc.), mais ne distingue pas le « naturel » comme catégorie reconnue.

L’Office fédéral belge de la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA) fait référence aux dispositions européennes pour le contrôle des vins. Mais ni la Belgique, ni l’Union européenne n’offrent un cadre légal spécifique ou une protection du terme « vin naturel » (voir le SPF Santé publique).

  • Le terme « vin naturel » n’est pas encadré légalement
  • Son usage n’ouvre pas droit à un label officiel ni à un logo national
  • Ni l’UE ni la Belgique ne proposent de certification dédiée

Le législateur belge reste, sur ce point, aligné sur la prudence européenne : une reconnaissance officielle obligerait à fixer des critères, à surveiller leur application, à instaurer des contrôles. Or, la diversité des pratiques et philosophies complique ce cadrage.

Que garantissent alors les labels et mentions présents sur les bouteilles ?

Dans ce vide institutionnel, les bouteilles arborent souvent des mentions ou logos rassurants : « vin nature », « vin vivant », « sans intrant », ou simplement « sans sulfite ajouté ». Mais que valent-ils vraiment ?

  • Vin biologique : Le label européen AB certifie uniquement que les raisins sont issus de l’agriculture biologique, selon un cahier des charges strict. Cependant, il autorise toujours un certain nombre d'intrants œnologiques (dont les sulfites).
  • Vin biodynamique : Les labels Demeter ou Biodyvin encadrent la vigne selon les principes de Rudolf Steiner (travail en harmonie avec les cycles lunaires, préparations spécifiques), mais ne garantissent pas, en cave, l'absence d'intrants.
  • Vin sans sulfites ajoutés : Cette mention est encadrée dans l’UE : elle suppose que la teneur en dioxyde de soufre total est inférieure à 10 mg/l. Mais cela ne dit rien des autres intrants.
  • Labels associatifs (Vins S.A.I.N.S., AVN, etc.) : Il existe en France des associations de vignerons qui proclament leur propre charte du vin naturel. Chaque association fixe ses critères, mais n’a aucune valeur légale en Belgique. Aucune autorité publique ne les contrôle.

Ce sont donc des repères utiles, mais facultatifs, portés par des collectifs engagés, et non par les institutions nationales.

Vin naturel : une reconnaissance à géométrie variable en Europe

L’exemple de la France, à la fois voisin et partenaire commercial essentiel pour la Belgique, est révélateur. Depuis 2020, la France reconnait l’appellation « Vin méthode Nature », issue d’un travail entre l’association des vignerons naturels et l’INAO (Institut National de l’Origine et de la Qualité). On y retrouve :

  • Un cahier des charges strict (pas de levures exogènes, pas d'intrants, gestion raisonnée du SO),
  • Un contrôle annuel,
  • Un logo officiel apposable sur les étiquettes.

Même si ce label n’est pas encore étendu à toute l’UE, il fait figure de pionnier. On note aussi que l’Italie, l’Espagne ou l’Allemagne n’ont pas non plus de cadre étatique pour le vin naturel, même si le débat y est vif.

En Belgique, la plupart des vignerons naturels adoptent le référentiel de leurs pairs français, s’en inspirent ou participent à leurs associations. Certains font le choix de ne mentionner que « vin biologique » ou « sans sulfites ajoutés », par prudence ou conviction.

Quelle protection commerciale et juridique pour le vigneron belge ?

L’absence de définition légale expose les vignerons à certains risques. Un vigneron wallon organisant une dégustation ou une vente avec la mention « vin naturel » ne bénéficie d’aucune protection institutionnelle en cas de contestation. Si une autorité venait à remettre en cause l'utilisation du terme, la jurisprudence ferait défaut.

Des cas emblématiques sont rares, mais les discussions existent : en 2018, plusieurs cavistes et vignerons bruxellois ont vu certains mots refusés dans le cadre d’événements publics, au nom du « flou réglementaire » entourant le vin naturel (source : RTBF).

  • Le label ‘biologique’ reste le seul reconnu par les institutions pour les vins alternatifs
  • Un vigneron peut utiliser ‘nature’ mais c’est à ses risques et périls en cas de litige
  • La défense du consommateur dépend du sérieux du vigneron, non d’un contrôle étatique

Des initiatives locales en Belgique

Face à l’absence d’encadrement national, des collectifs belges émergent pour affirmer leurs critères et pratiques. On note en particulier :

  • La création, en Wallonie et à Bruxelles, de salons exclusivement dédiés au vin naturel (Domaine du Chenoy, Salon Vin Naturel Bruxelles, etc.), rassemblant vignerons et importateurs de confiance.
  • Des chartes privées, adoptées par certains groupements de vignerons ou de cavistes (par exemple, la charte du collectif « Vin Naturel Belgique »), inspirées du travail de l’AVN (Association des Vins Naturels) française.
  • Des partenariats avec des organismes sanitaires locaux, pour assurer la transparence analytique (notamment sur les taux de SO).

Cependant, ces démarches restent des engagements « de bonne foi » : elles reposent sur la vigilance des membres, la pression du consommateur averti, plus que sur un suivi public institutionnel.

Et du côté du consommateur belge ?

Pour l’amateur, la situation appelle à la prudence. À défaut de reconnaissance institutionnelle, le « vin naturel » est avant tout basé sur la transparence du vigneron et la relation de confiance avec le caviste. Quelques repères pour mieux choisir :

  • Poser des questions sur la vinification (levures indigènes, intrants…)
  • Vérifier la composition, notamment la mention des sulfites
  • Préférer les vignerons qui publient leurs analyses en ligne ou lors de salons
  • Soutenir les collectifs locaux transparents

Depuis 2022, une étude pilotée par l’Université de Liège et l’AFSCA montre que près de 12 % des consommateurs belges se déclarent acheteurs de vin naturel « par choix philosophique ou éthique », ce qui place le pays parmi les marchés dynamiques d’Europe, derrière la France et l’Italie. Le vin naturel belgo-belge reste, quant à lui, minoritaire (moins de 5 % de la production nationale), mais connaît une croissance continue depuis 2018 (Agence wallonne pour la promotion d’une agriculture de qualité).

Perspectives : vers une reconnaissance à la belge ?

Faut-il attendre qu’une institution belge pose un cadre pour le vin naturel, ou bien préserver la souplesse actuelle qui laisse toute leur place aux initiatives de terrain ? Les avis sont partagés. Certains estiment qu’un label officiel protégerait consommateurs comme vignerons et encouragerait le développement d’une filière forte, résiliente. D’autres défendent la liberté actuelle, qui permet aux vignerons d’explorer sans contrainte excessive.

Une chose est sûre : la demande de transparence s’intensifie, des deux côtés du comptoir. Les consommateurs belges se montrent de plus en plus attentifs à la composition et à la pratique, tandis que les vignerons s’organisent pour rendre leurs choix lisibles. Peut-être la Belgique trouvera-t-elle sa propre voie, nickel entre le modèle français (détaillé et contrôlé, mais parfois bureaucratique) et l’écosystème ultra-libéral des salons off ? Certains parlent déjà de fédérer une charte wallonne, intégrant les spécificités de notre terroir et de notre scène viticole émergente.

Pour l'heure, la mention « vin naturel » reste une promesse, plus qu’une garantie institutionnelle. Mais si l'on considère la vitalité des salons belges, la hausse du nombre de cuvées sans intrants, ou l’intérêt réel des amateurs, tout indique que ce vide juridique ne freine pas l’énergie de la filière. Le débat avance, porté par la passion et la vigilance des acteurs du vin.