Le vin naturel : sous l’étiquette, la question de la certification

Explorer, comprendre et déguster le vin naturel belge

Un vin qui bouscule la norme

Impossible de passer à côté : en Belgique comme ailleurs, le vin naturel séduit de plus en plus d’amateurs. Derrière les « labels », il y a surtout des histoires de vignerons atypiques, de terroirs libérés, de levures sauvages. Pourtant, une question revient souvent parmi les curieux : comment être sûr que ce qu’on boit est vraiment « nature » ? Existe-t-il une certification fiable pour les vins naturels ? Et que garantit-elle vraiment ?

La réponse n’est – évidemment – pas si simple. Faisons le point, verre en main.

Pourquoi une certification ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, un rappel utile : le vin est probablement l’un des produits agricoles les plus règlementés au monde, en particulier en Europe. Les AOC, IGP et autres réglementations encadrent cépages, pratiques viticoles, taux d’alcool, et même la mise en bouteille. Pourtant, pour ce qui est du « vin naturel », tout reste flou : pas de définition légale au niveau européen, ni en Belgique… à la différence du vin bio ou biodynamique.

Pour ceux qui travaillent sans intrants, sans chimie, la certification semble pourtant être une évidence. Une manière d’afficher leurs engagements, de protéger leur travail, mais aussi d’apporter de la transparence là où le marketing peut parfois prêter à confusion.

Vin naturel : une notion sans cadre légal… ou presque

Sur la bouteille typique d’un vin naturel, on trouve rarement la mention « vin naturel » de façon officielle. Cela ne relève pas du hasard : cette catégorie n’existe pas juridiquement. À ce jour, ni l’Union européenne, ni l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), ni le SPF Economie en Belgique ne reconnaissent encore de statut ou de cahier des charges pour le vin naturel.

En revanche, il existe nombre de labels, de chartes d’engagement ou de syndicats qui tentent d’établir des repères, souvent portés par des vignerons eux-mêmes, soucieux de préserver l'esprit artisanal du naturel.

Petit panorama des initiatives de labellisation

  • Vin Méthode Nature (France) : Depuis mars 2020, la France a créé le premier syndicat et le premier label officiel privé autour du vin naturel. « Vin Méthode Nature » affiche des critères précis consultables ici (fermentation uniquement à partir de levures indigènes, raisins issus de l’agriculture biologique certifiée, pas d’intrants, pas d’enrichissement, pas de techniques lourdes, et tolérance éventuelle d’une dose de sulfites à la mise, mais < 30mg/l). Ce label compte aujourd’hui environ 150 domaines (source : Syndicat Vin Méthode Nature, 2023).
  • AVN – Association des Vins Naturels (France & Europe) : Fondée en 2005, cette association regroupe des vignerons prônant les vinifications sans sulfites et sans intrants. Pas de label officiel mais une charte d’engagement exigeante, renouvelée chaque année. L’AVN n’a pas d’équivalent direct en Belgique mais influence la philosophie de nombreux artisans wallons et flamands.
  • Vins S.A.I.N.S. (« Sans Aucun Intrant Ni Sulfite ajouté », France) : Cette association impose une certification sur audit, garantissant des vins confectionnés sans aucun intrant, ni intrant œnologique, ni sulfite, de la vigne à la bouteille. Elle représente quelques dizaines de domaines en France, l’adhésion étant volontairement très restreinte.
  • Label Nature & Progrès : Présent en Belgique, le cahier des charges Nature & Progrès couvre les productions agricoles biologiques, dont la vigne, mais ne va pas jusqu’à revendiquer l’absence totale de sulfites ou d’intrants en vinification, contrairement au vin naturel strict.
  • Demeter, Biogarantie, Ecocert : Ces certifications très présentes sur le marché belge concernent le bio ou la biodynamie, mais pas la naturalité au sens strict. Elles sont néanmoins souvent un prérequis dans les démarches de labellisation privé du vin naturel.

Fait notable : sur les vins naturels produits en Belgique, aucun label national spécifique n’existe. La quasi-totalité des vignerons engagés dans une démarche « nature » se basent sur l’autodiscipline, la transparence et, parfois, l’adhésion à des chartes européennes ou françaises.

Pourquoi une définition officielle peine-t-elle à émerger ?

La question de la certification s’est imposée face au succès de la catégorie… mais certains y voient aussi un risque d’uniformisation. Plusieurs raisons expliquent ce flou :

  • Diversité des approches : Certains vignerons considèrent que l’ajout minime de sulfites (pour stabiliser le vin avant la mise en bouteille) n’est pas incompatible avec l’esprit naturel. D’autres, au contraire, prônent le « zéro-zéro ».
  • Rejet du carcan administratif : De nombreux producteurs de vin naturel sont venus à cette pratique justement pour s’affranchir des contraintes légales et bureaucratiques imposées à la viticulture conventionnelle.
  • Manque de consensus européen : Même en France, pays leader de la mouvance, la mise en place de « Vin Méthode Nature » n’a pas fait l’unanimité. Certains y voient une récupération commerciale, d’autres craignent que le label ne freine la créativité ou n’exclue certains pionniers au profit d’une communication plus « lisse ».
  • Marché de niche : En 2022, le vin naturel représenterait à peine 0,5% de la production mondiale totale de vin (source : SudVinBio, 2023). Difficile, dans ces conditions, d’imposer une norme universelle à une si petite fraction de la filière.

Bio, biodynamie, nature : quelles différences sur l’étiquette ?

C’est souvent la principale source de confusion pour les consommateurs. Voici un tableau récapitulatif pour y voir plus clair :

  • Vin biologique : Certifié par l’Union européenne, ce label garantit l’absence de pesticides et d’engrais de synthèse dans la vigne, avec un cahier des charges encadrant aussi la vinification (limitation des intrants œnologiques et du soufre).
  • Vin biodynamique : Certification privée (Demeter, Biodyvin), qui reprend le cahier des charges bio + introduction d’une approche holistique, préparations à base de plantes, respect des cycles lunaires.
  • Vin naturel : Pas de cadre européen. Souvent, la revendication se base sur :
    • Raisin issu uniquement de l’agriculture biologique (souvent sans désherbants ni pesticides de synthèse).
    • Vendanges manuelles.
    • Fermentation spontanée (levures indigènes uniquement).
    • Aucun intrant œnologique ajouté (enzymes, acidifiants, correcteurs, etc.).
    • Souvent pas de filtration, ni collage.
    • Souvent zéro soufre ajouté, ou dose minimale (<30mg/l)

En Belgique, une étude publiée par Oxfam Magasins du Monde (2022) estime qu’environ 80 % des cuvées « nature » commercialisées mentionnent au minimum une certification bio ou biodynamique, en plus d’une appartenance à une charte privée ou d’indications manuscrites laissées à la libre appréciation de l’amateur.

Focus sur la Belgique : où en est-on ?

La Belgique n’a pas de label « vin naturel » national, ni d’association dédiée. Le pays compte une quarantaine de domaines viticoles certifiés bio ou en biodynamie (source : SPF Economie, 2023), parmi lesquels une dizaine revendiquent ouvertement une démarche naturelle en vinification. Le choix reste donc très artisanal et la transparence s’opère via la communication directe vigneron–caviste–client.

Depuis 2020, on note cependant un intérêt croissant : plusieurs vignobles wallons participent à des salons estampillés « nature » en France et dans le nord de l’Europe, comme La Dive Bouteille, Vini Birre Ribelli, ou le RAW Wine Fair, signe d’une reconnaissance internationale qui n’attend plus qu’une structuration locale pour s’affirmer.

Anectode parlante : certains petits domaines namurois ou bruxellois n’indiquent rien sur l’étiquette, préférant « l’oralité », le bouche-à-oreille, voire le QR code sur la bouteille, pour raconter leur pratique de vinification naturelle.

Labels privés, auto-discipline, ou confiance : pour choisir, rester curieux

Puisqu’il n’existe pas de label universel et obligatoire pour le vin naturel, comment s’y retrouver ? Quelques conseils :

  • Demander la fiche technique auprès du caviste ou du vigneron. Elle liste clairement les pratiques à la vigne et au chai.
  • Repérer les certifications bio/biodynamie sur l’étiquette, même si elles ne garantissent pas à 100 % la naturalité, elles offrent une première base de confiance.
  • S’intéresser à la philosophie du producteur : souvent, une charte signée (Vin Méthode Nature, S.A.I.N.S.), ou simplement un engagement oral lors d’une dégustation, valent plus que n’importe quelle médaille.
  • Goûter et s’informer : la diversité des jus, parfois même d’un millésime à l’autre, donne une dimension humaine – et joyeuse – à la recherche du vin naturel.

Vers une harmonisation ?

L’Union européenne a lancé plusieurs groupes de travail depuis 2021 pour se pencher sur une éventuelle reconnaissance officielle du vin naturel, notamment sous l’impulsion de la France et de l’Italie. Cependant, selon le Conseil européen des Vins Naturels (2023), aucun calendrier précis n’est fixé. L’Italie travaille également sur une proposition de cahier des charges pour les « vini naturali », relayée par Slow Food.

Du côté des ONG et associations de consommateurs, la demande d’une plus grande clarté progresse : selon une enquête menée par UFC-Que Choisir auprès des consommateurs européens en 2021, 68 % des acheteurs souhaiteraient un étiquetage plus précis sur les méthodes de vinification utilisées.

Ouvrir la porte du chai : transparence, dialogue, et plaisir

À défaut d’un cadre officiel universel, choisir un vin naturel reste affaire de confiance, de curiosité et d’écoute. Dans cette bulle encore artisanale, où chaque bouteille raconte une histoire, la seule vraie « certification » est souvent celle donnée par le vigneron, via la main tendue et le partage de ses méthodes.

Face aux exigences du marché, le paysage bouge – lentement, à la manière d’un vin élevé sur lies. Mais l’essentiel est là : du vivant dans nos verres, des pratiques éclairées, et un écho profond du terroir.

Pour aller plus loin :