Intrants autorisés en bio : le vin naturel s’y retrouve-t-il vraiment ?

Explorer, comprendre et déguster le vin naturel belge

Définir le terrain de jeu : bio, vin naturel, nature – petite mise au point

Avant de plonger dans la question des intrants, prenons soin de distinguer les notions qui se bousculent souvent : le vin bio, le vin “nature”, le “vin naturel”. Ce n’est pas seulement du vocabulaire, mais avant tout une question de cahier des charges et de philosophie.

  • Vin biologique : S’appuie sur une règlementation européenne bien cadrée (la réglementation de l’UE sur l’agriculture biologique, dernière version de 2018). On y interdit d’utiliser des pesticides de synthèse à la vigne et on limite fortement les additifs en cave. L’élaboration permet néanmoins plus de pratiques que ce que le public imagine souvent, y compris l’usage de certains intrants « naturels » mais aussi techniques.
  • Vin naturel : Aucune législation européenne, mais certains cahiers des charges associatifs (comme ceux de l’AVN, France, ou du Syndicat du Vin Naturel de Belgique). L’idée centrale : rien d’ajouté ou de retiré au raisin, sauf parfois une pointe de soufre, et surtout, transparence totale. Le dialogue entre vignerons fait la loi et l’éthique prime sur la norme.
  • Vin nature : Encore plus épuré, on l’associe souvent aux cuvées de « rien du tout », ni filtration ni sulfite ni intrant, même autorisé en BIO. Mais l’usage fluctue selon les contrées et les époques…

Ce flou fait le charme – et parfois la confusion – de cette famille de vins en perpétuelle négociation avec soi-même. Côté belge : la plupart des vignerons engagés se réclament avant tout du bio, et certains poussent la démarche jusqu’au naturel, avec toutes les nuances que cela suppose.

Quels sont les intrants autorisés en bio ?

“Bio” sur l’étiquette ne signifie pas toujours “aucun intrant en cave”. Une trentaine d’intrants (additifs et auxiliaires technologiques) restent tolérés pour les vins bio, avec diverses restrictions (source : INAO, règlement européen). Voici les plus notables :

  • Sulfites (SO₂) : Dosage jusqu’à 100 mg/L pour les rouges, 150 mg/L pour les blancs/rosés (25–30 % de moins que le convoité standard “conventionnel”).
  • Le bentonite ou kaolin : Argile naturelle pour clarifier ou éliminer des protéines.
  • Levures œnologiques (sélectionnées, mais pas OGM) : Même si la fermentation naturelle reste encouragée, la levure de culture est autorisée.
  • Acide tartrique (E334), tanins végétaux, enzymes pectolytiques : Permettent d’ajuster la stabilité, l’acidité, de réguler la vinification, de prévenir des défauts technologiques.
  • Certains agents de collage : Protéines végétales (pois), albumine d’œuf, caséine, gélatine : tolérés, pour la clarification et la stabilisation.
  • Déacidification et enrichissement : Utilisation de certains sels pour corriger l’équilibre du vin, dans des limites précises.

Sur le papier, un vin strictement bio peut donc être façonné de façon très technique. N’oublions pas qu’une dizaine d’étapes de la vinification peuvent être « assistées » d’un intrant, même sur une cuvée certifiée bio.

Le vin naturel : philosophie antithétique aux intrants ?

La question centrale : jusqu’où peut-on aller pour rester “naturel” ? À l’origine de la mouvance, la franche opposition à toute intervention jugée “trahison du fruit” domine la réflexion :

  • Fermentations spontanées : pas de levures ajoutées en dehors des populations naturelles du raisin.
  • Rien à l’ajout : pas d’acidifiant, de tanin, de gomme arabique, ou de nutriments industriels - c’est l’équilibre naturel du raisin qui doit primer.
  • Sous exceptions : peu, voire pas de soufre, et dans les cas extrêmes (transport, conservation de cuvées fragiles), utilisé à dose homéopathique (souvent moins de 20 mg/L – quand la réglementation bio tolère 100-150 mg/L selon la couleur).
  • Clarification : ni bentonite ni albumine ni rien de tout ça. Le vin peut rester légèrement trouble et c’est assumé.

L’esprit : c’est la conséquence du raisin, du millésime et du travail du vigneron, pas le résultat d’une recette de laboratoire. Naturel, ici, signifie « nu », sans fard.

À noter qu’aucune certification officielle ne vient verrouiller la définition. Mais c’est aussi ce qui fait la vigueur du débat et de la créativité, surtout chez les artisans belges, souvent issus de reconversions ou de parcours de passion qui bousculent les lignes héritées du conventionnel.

Pourquoi certains intrants “bio” posent-ils débat chez les vignerons nature ?

Même s’ils sont d’origine naturelle (argiles, substances issues de l’œuf, de la plante…), les intrants restent, par définition, une forme de modification par l’homme. Plusieurs points de friction s’invitent régulièrement dans les réunions professionnelles ou festivals de vin vivant :

  1. Levures industrielles : Même non-OGM et bio-compatibles, elles standardisent les arômes, gomment l’empreinte du terroir, favorisent la régularité au détriment de l’authenticité (voir “Levures et terroir”, Jancis Robinson, 2021). Sans levure industrielle, le vin peut être moins prévisible… mais sa personnalité est plus brute, parfois plus fragile aussi chez les jeunes domaines.
  2. Agent de collage et clarification : Même d’origine végétale, leur usage vise à polir l’apparence ou le toucher du vin, mais ils peuvent également retirer des composés aromatiques ou texturants, réduisant la singularité du vin (Voir : “Natural Wine”, Alice Feiring, 2016).
  3. Sulfites : Utilisé pour stabiliser et protéger les arômes, mais à dose élevée, “cadenasse” l’expression, masque les aspérités et la vie du vin. Même bio, la dose fait le poison.
  4. Acidifiants, tanins, enzymes : Même “autorisés en bio”, ils répondent à une vision du vin comme produit normé, alors que le vin naturel assume la variation et la surprise.

La véritable fracture ? L’idée que l’intervention, même douce, traduit avant tout la volonté de contrôler la nature plutôt que de l’accompagner. Ce n’est pas “l’ingrédient” qui pose souci, c’est le projet que cela traduit sur la bouteille.

Que disent les cahiers des charges “vin naturel” en France et en Belgique ?

Depuis la bulle des années 2010, les syndicats se sont organisés pour clarifier les positions – et offrir des repères au consommateur désireux de transparence.

  • Le Syndicat de Défense du Vin Naturel (France, 2020) :
    • Raisins issus de l’agriculture biologique ou biodynamique obligatoirement.
    • Fermentation exclusivement à partir de levures indigènes.
    • Interdiction de tout intrant œnologique sauf le SO₂, toléré en toute petite quantité à la mise en bouteille (<30 mg/L).
    • Pas de clarification, collage, filtration sévère, ni aucune technique d’élimination d’alcool, d’acide, d’eau, etc.
  • En Belgique, la Charte du Vin Naturel (2022) :
    • Obligation de certification bio des vignes.
    • Fermentation spontanée, présence de sulfites inférieure à 30 mg/L, mais la plupart des artisans oscillent plutôt autour de 10 mg/L voire sans soufre ajouté.
    • Refus de tout autre intrant œnologique, y compris ceux tolérés en bio (enzymes, agents de collage, tanins ajoutés, etc.).
    • Communication totale des pratiques au grand public.

Certaines associations vont même plus loin, en refusant toute filtration, tout ajout, même de nature “bio”, et en poussant l’accompagnement du vin jusqu’à la mise sur le marché sans ajout de sulfite.

La tendance belge, amorcée dès 2017 avec l’émergence de pionniers comme les Domaines Vinum Vivum (Brabant wallon) ou le Clos d’Opleeuw (Limbourg), confirme cette radicalité : pas question ici de jouer sur l’ambiguïté. Le vin veut traduire son site, son millésime, sa fermentation – et non une norme, même labellisée.

Comment les consommateurs peuvent-ils s’y retrouver ?

Même pour un amateur averti, distinguer ce qui est naturel, bio ou “bio plus technique” n'est pas toujours évident. Quelques repères :

  • Un vin bio peut utiliser des intrants, mais moins de pesticides/intrants que le conventionnel. Le sigle “Eurofeuille” sur la bouteille offre un minimum garanti, mais ne dit rien sur la vinification “low intervention”.
  • Un vin naturel exclut presque tous les intrants sauf (souvent) un trait de soufre à la mise.
  • Le terme “nature” n’a pas de définition légale obligatoire. Seuls les vignerons sérieux, les syndicats ou réseaux militants expliquent leurs pratiques (regardez les notes de cave, renseignez-vous sur les salons – par exemple “Vinorama” à Bruxelles).
  • Les doses de sulfites sont parfois indiquées sur l’étiquette, mais seule une analyse de laboratoire donne la valeur exacte.

Une enquête de l’UFC Que Choisir de juillet 2023 lève le voile : sur 150 cuvées françaises auto-proclamées “nature”, seules 43 confirment un dosage inférieur à 30 mg/L de SO₂ total (seuil français AVN). Source : UFC Que Choisir. D’où l’importance d’un dialogue avec le caviste, le vigneron ou via des associations qui tiennent des listes à jour.

Intrants et expression du terroir : ce que cela change dans la bouteille

Au-delà du débat technique, ce sont les qualités organoleptiques qui tranchent. Plusieurs études démontrent l’impact des intrants sur la signature du vin :

  • Levures exogènes : Introduction de familles aromatiques souvent plus “proprettes”, mais tendant à écraser le caractère des sols et le millésime (cf. “Yeast and Wine Terroir”, Current Opinion in Food Science, 2017).
  • Sulfites élevés : Les doses supérieure à 50 mg/L augmentent la stabilité mais réduisent l’évolution aromatique (“Sulphites in natural wines”, Wine Science Journal, 2019).
  • Collage technologique : Les processus réduisent la complexité phénolique, l’intensité de la texture, la capacité de garde (“Comparative Analysis of Wine Fining Agents”, Food Chemistry, 2021).

Beaucoup de vignerons belges racontent que leur plus grande fierté n’est pas la médaille d’un concours, mais la capacité d’un vin à surprendre, à se transformer dans le verre et à raconter un lieu comme une histoire singulière. Les intrants, même “bio-compatibles”, viennent alors comme autant de filtres ou de couche d’un maquillage qui uniformise l’expression.

Perspective belge : une génération qui questionne sans relâche

La Belgique, à petite échelle, pousse même plus loin l’expérimentation et la clarté que ses voisins. Plusieurs jeunes domaines (Domaine du Chenoy, Vin de Liège, Clos la Carrière, Hectério…) revendiquent soit le refus total des intrants, soit la complète gratuité d’information (toutes les analyses, tous les détails techniques sont partagés lors des portes ouvertes ou des ventes directes). L’enjeu n’est pas de “créer du buzz” ou de “coller à la mode nature”, mais de façonner une viticulture où la confiance se fonde sur la pédagogie et le respect du vivant.

Ce sont aussi ces artisans qui osent remettre en question ce qui semblait intouchable : la place du soufre (parfois remplacé par des pratiques douces comme les élevages très longs sous voile), le refus du collage brut pour des vins plus structurés, et la volonté de raconter le millésime tel qu’il est, quitte à dérouter ou enthousiasmer.

Entre liberté et cohérence : l’équilibre fragile du vin naturel

La question “le vin naturel peut-il utiliser des intrants autorisés en bio ?” invite à dépasser le simple catalogue d’additifs pour réfléchir à la vision du vin portée par ses artisans. En théorie, certains intrants bio sont “compatibles” si l’on regarde les règlements, mais pas dans la grande majorité des pratiques naturelles belges ni dans l’esprit qui anime cette communauté. Plus qu’une liste d’interdits, il s’agit d’une exigence de cohérence, de clarté, et d’accompagnement du vin, avec un fil conducteur : le respect du vivant, du goût, de la vérité du fruit.

La meilleure boussole ? La curiosité. Lire les étiquettes, discuter avec les vignerons, échanger lors de salons ou de dégustations. Le vin naturel belge, loin des chapelles, s’enrichit en permanent dialogue : entre la nature, le vigneron, et toutes celles et ceux qui cherchent à mieux comprendre l’alchimie du vivant dans un verre.