Voyage au cœur des domaines phares du vin naturel belge

Explorer, comprendre et déguster le vin naturel belge

Le contexte belge : émergence d’une scène vivante

Avec près de 40 domaines actifs reconnus en vin naturel (chiffres de l’ASBL Vin de Liège, 2023), la Belgique s’impose désormais comme une terre d’innovation et de résistance face à la standardisation du vin. L’histoire viticole belge n’est pourtant pas neuve : vignes cultivées dès le Moyen Âge, renouveau enclenché dans les années 1970, puis véritable accélération début des années 2010 grâce à la curiosité, à la montée du bio, et à la recherche de vins identitaires.

Avant de parcourir les domaines, un rappel essentiel : le vin naturel en Belgique n’obéit à aucun label strict, mais se reconnaît à l’absence d’intrants (sauf soufre à dose homéopathique parfois), à la transparence sur le travail de cave, et à la vitalité des vins. Plusieurs domaines belges travaillent en bio ou en biodynamie, mais certains vont plus loin, jusqu’à s’affranchir totalement des certifications.

Des terres modestes, des vignerons ambitieux

Le vignoble belge reste minuscule au regard de ses voisins : moins de 500 hectares cultivés pour l’ensemble du pays (source : SPF Economie, 2022). Mais l’énergie déployée impressionne :

  • Wallonie : épicentre du renouveau grâce à ses terroirs calcaires, son climat moins rude que dans le Nord, et un tissu d’amateurs bouillonnant.
  • Flandre : quasi 60% du vignoble belge, très dynamique dans la production de “sparkling” (bulles) et, depuis une dizaine d’années, sur le créneau du vin nature (ex : entre Gand et Anvers).
  • Brabant Wallon & Bruxelles : des micro-domaines portés par des “néo-vignerons”, souvent issus d’autres horizons.

Panorama des domaines emblématiques du vin naturel belge

Passons à la carte, non exhaustive mais essentielle, des principaux domaines producteurs de vin naturel en Belgique. Sont cités ici des vignerons qui défendent non seulement une éthique, mais aussi un style singulier et, surtout, des vins à forte personnalité.

1. Vin de Liège (Liège, Wallonie)

Un collectif plus qu'un individu : fondée en 2010, la coopérative Vin de Liège fédère aujourd’hui plus de 2000 coopérateurs et une équipe de 15 personnes, pour 16 hectares cultivés en bio. Leur méthode ? Pas de pesticides, levures indigènes, filtration minimale et très peu de soufre. Ils misent sur des cuvées “nature” (Les Agaises, Terre de Liège, L’Insoumise) qui surprennent par leur fraîcheur et leur profondeur, majoritairement à partir de cépages hybrides adaptés au climat belge (Souvignier gris, Johanniter, Solaris). Vin de Liège a remporté en 2016 la médaille d’or “Prix de l’Innovation durable” (source : Le Soir).

2. Domaine du Chenoy (Namur, Wallonie)

Créé en 2003 par Philippe Grafé, repris en 2017 par Jean-Bernard et Pierre-Marie Despatures avec l’œnologue Ludovic Vanackere, Le Chenoy est certifié bio, travaille sur 15 hectares et s'est fait remarquer pour ses vins sans intrants ajoutés à partir de cépages résistants (Pinotin, Bronner, Rondo). Leur Pet’Nat “Effervescence” est devenu culte dans le milieu des cavistes belges. Le Chenoy organise aussi régulièrement des ateliers de dégustation et porte une parole pédagogique sur la viticulture naturelle en climat septentrional ("La Libre Belgique", 2023).

3. Vin de Zaventem (Bruxelles-Capitale)

Moins connu, ce micro-domaine urbain a été lancé par Jan Van Roey en 2017 sur à peine 0,7 ha. Ici, tout se fait à la main, des vendanges à l’étiquetage, dans une logique d’ultra-proximité et sans aucun intrant, parfois sans soufre même sur des blancs “Orange” séduisants et vifs. Certainement un des plus petits producteurs naturels du pays, il travaille avec le cépage Johanniter pour contourner l’humidité bruxelloise.

4. Wijndomein Oud Conynsbergh (Boom, Anvers, Flandre)

Fondé sur les hauteurs de Boechout, ce domaine familial (4 hectares) est pionnier de la viticulture biologique dans la province d’Anvers. Depuis 2018, leurs “Oranje Wijn” (vins orange) et leurs bulles élaborées en méthode ancestrale séduisent les amateurs flamands, avec un positionnement radicalement sans sulfite ajouté sur plusieurs cuvées. Oud Conynsbergh privilégie l’écopâturage, la biodiversité et vinifie des cépages comme le Solaris, le Muscaris ou la vitis vinifera Pinot noir (source : VRT NWS, 2023).

5. Domaine de la Falize (Namur, Wallonie)

Le projet de Dominique Noël et de Jérémie Bourgeois, établi sur 3,2 hectares de sols calcaires, s’impose pour la rectitude de ses vins vivants, issus exclusivement de pieds franches racines (pas de greffes !). Ici, les fermentations sont totalement spontanées, pas d’ajout de soufre, ni collage, ni filtration. Leur cuvée “Sursaut” (pinot noir/melrot) et le pet’ nat de Solaris sont recherchés sur les belles tables belges.

6. Domaine Wijnkasteel Genoels-Elderen (Limbourg, Flandre)

Premier château viticole historique de Flandre, Genoels-Elderen combine tradition et expérimentation. Certes, tout n’y est pas 100% nature, mais chaque année, la maison produit quelques cuvées “zéro intrant” à partir de Chardonnay et Pinot noir. Les cépages plantés sur plus de 23 hectares démontrent le potentiel de la Flandre à produire des vins naturels, vifs, très minéraux.

7. Le Clos d’Opleeuw (Gingelom, Limbourg, Flandre)

Dirigé par Gido Van Iersel, ce micro-domaine (1,2 ha) de terroir calcaire ne réalise que des blancs issus de Chardonnay, sans désherbant, ni pesticide, ni ajout d’arômes ou d’enzymes. Les vendanges sont manuelles, les élevages longs sur lies. Un esprit nature discret, dans la veine bourguignonne, qui a conquis nombre de sommeliers locaux.

Autres acteurs à suivre de près

Des domaines plus jeunes, à la production confidentielle, dessinent déjà la Belgique viticole de demain :

  • Domaine du Ry d’Argent (Namur) : ferme familiale passée en bio, expérimentations en amphore.
  • La Lieu-Dit (Baelen, Liège) : deux amis passionnés, micro-parcelles, vins sans soufre, distribution directe.
  • De Plukker (Poperinge, Flandre) : pionnier du bio, cuvée “Bellen” en pétillant naturel à base de Johanniter.
  • Wijndomein Entre-Deux-Monts (Heuvelland, Flandre) : expérimente le vin “zero sulphite” sur pinot gris.

Plus d’une cinquantaine de vignerons belges s’affichent partiellement ou totalement en vin naturel, souvent sur moins d’un hectare. Cet éclatement géographique est la vraie force de la scène nationale – chaque domaine explore son identité, ses levures et ses sols avec une liberté rafraîchissante.

L’impact du climat, du sol… et des hommes

Produire du vin naturel en Belgique n’a rien d’anodin : les maladies cryptogamiques (mildiou, pourriture grise…), la fraîcheur du climat, l’humidité prolongée jusqu’en automne mettent les vignerons à l’épreuve. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de domaines misent sur des cépages résistants : 70% des vignobles naturels wallons privilégient aujourd’hui Solaris, Souvignier gris ou Johanniter à côté du Chardonnay ou du Pinot noir (chiffres SPF Economie, 2022).

  • Le sol : beaucoup de vignobles naturels s’installent sur des calcaires du Condroz ou du Brabant mais aussi sur des limons sablonneux en Flandre.
  • La micro-vinification : Les surfaces réduites (souvent moins de 3 ha) favorisent des cuvées parcellaires, des micro-lots, très peu interventionnistes. Cela signifie des vins à forte variabilité d’un millésime à l’autre, parfois même d’une cuve à l’autre.
  • Le “zéro soufre” : de plus en plus de domaines proposent un ou deux vins sans adjonction totale de soufre, mais s’autorisent parfois une dose en cas de transport ou d’exportation.

Ancrages, styles et perspectives du vin naturel belge

À travers ces domaines, la Belgique affirme un visage unique du vin naturel : précision, légèreté, acidité vive et plus rarement macération longue (sauf sur certains blancs “orange”). Les bulles naturelles (Pet’Nat) et les blancs secs dominent, mais l’offre s’élargit. Le fil rouge ? Une volonté farouche d’exprimer son lieu, son année, et l’histoire d’un vigneron… avec toutes les irrégularités que cela suppose.

Les cavistes, bars à vins et restaurants “bistronomiques” belges jouent aussi un rôle clé dans cette émulation, facilitant la découverte de producteurs émergents et privilégiant parfois la vente en direct – un vrai atout pour le lien entre consommateur et vigneron.

Ce dynamisme attire des profils de plus en plus variés : anciens journalistes (La Lieu-Dit), ingénieurs (Vin de Liège), designers graphiques (Vin de Zaventem)… Autant de preuves que la Belgique du vin naturel est aussi celle de la reconversion et de la passion partagée.

Pour élargir la découverte

  • Des salons spécialisés existent désormais à Bruxelles et à Liège, mettant en avant uniquement des producteurs travaillant sans intrant (ex : Salon Nature & Progrès).
  • Des critiques étrangers, tels que Jamie Goode ou Fermentation Magazine, commencent à chroniquer positivement les cuvées belges, saluant leur fraîcheur et leur singularité.
  • Des ouvrages récents (par ex. “Wijnbouw in België” de Stefaan Ghysels, 2022) explorent cette scène, listant une vingtaine de “domaines natures” à découvrir.

Ces dernières années, les bouteilles estampillées “Belgique” s’imposent dans les caves européennes et séduisent au-delà de la curiosité. Les domaines naturels belges redéfinissent la notion de terroir, bousculent l’ordre établi et prouvent qu'à l’échelle de la parcelle, l’homme et le raisin, bruts et libres, réinventent chaque jour la promesse du vin.